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Document

A propos de "Pas sur la bouche" (Maurice Yvain, 1925)

La version filmée d'Alain Resnais (2003)

 

Radio


 / 
Interview d'Alain Resnais, à l'occasion de la sortie de son film
(France Culture, décembre 2004)

 / 
Emission Etonnez-moi Benoît, interview d'Alain Resnais par Benoît Duteurtre
(France Musique, décembre 2004)

 

Dossier de presse

Pathé est fier de distribuer
et Arena Films de présenter
un film sonore parlant et chantant

avec Mesdemoiselles
Sabine Azéma
Isabelle Nanty
Audrey Tautou

et Messieurs
Pierre Arditi
Darry Cowl
Jalil Lespert
Daniel Prévost
Lambert Wilson

dans une opérette
d’André Barde et de Maurice Yvain

Pas sur la
bouche

Synopsis

Lors d’un séjour aux États-Unis, Gilberte Valandray a été mariée en premières noces à un Américain, Eric Thomson. Son mariage a été un échec.

 Mais ce mariage n’ayant pas été légalisé par le consul de France, il n’est, de fait, pas reconnu en France.

Revenue à Paris, Gilberte a épousé Georges Valandray, riche métallurgiste. Celui-ci, qui croit à la félicité conjugale dès lors que l’on est le premier mari de sa femme, est soigneusement tenu dans l’ignorance de l’union avec Eric Thomson. Seule la sœur de Gilberte, Arlette Poumaillac, toujours célibataire, connaît le secret.

Mais qu’arriverait-il, si par pure coïncidence, Georges Valandray entrait en relations d’affaires avec cet Eric Thomson et se prenait d’amitié pour lui ?

À propos de la création de Pas sur la bouche !

André Bourdonneaux, dit André Barde, vint un jour me trouver de la part de Quinson. Je ne le connaissais que de nom. Plusieurs de ses opérettes, en collaboration avec le compositeur Charles Cuvillier, avaient eu du succès, notamment : La Reine joyeuse, Son petit frère et Afgar. (...)

Quinson me le dépêchait, porteur d'un livret de comédie musicale Pas sur la bouche ! À son habitude, notre directeur touche-à-tout avait "chamboulé" le scénario que Barde lui avait proposé. Il s'avéra que ses remaniements étaient heureux ; la pièce me plut d'emblée. J'emmenai mon nouveau collaborateur à Antibes et nous nous mîmes au travail. Le calendrier des théâtres Quinson étant rempli pour la saison, il fut décidé que nous serions représentés aux Nouveautés. Le directeur, Léon-Benoît Deutsch, fils d'un gros industriel du Nord, que rien, à première vue, ne prédisposait au théâtre, montra, en l'occurrence, des qualités rares ; il acquiesça à toutes nos exigences et nous offrit une distribution de haute qualité : Régine Flory, Jeanne Cheirel et Pierrette Madd. Régine Flory, transfuge du music-hall et de la revue londonienne, personnifiait à la scène comme à la ville la femme-chatte. Deux yeux et un corps à faire rêver tout éveillé, elle était la bête noire de toutes les épouses dont le mari, par devoir professionnel, gravitait autour d'elle. Artiste complète, elle jouait la comédie, chantait et dansait avec bonheur. Les vedettes masculines étaient Koval et Robert Darthez. J'avais entendu, à l'Olympia, un jeune chanteur marseillais, Berval, interpréter fort intelligemment La Belote ; l'idée me vint de le lancer dans l'opérette. Je finis par le dénicher à Challes-les-Eaux où il faisait une cure (Ah ! ces chanteurs !) et lui fit promettre d'être des nôtres. Et puis, il y eut Pauline Carton qui, dans un rôle épisodique de concierge, se tailla une part de lion dans la réussite de l'opérette.

Pour ma part, Léon-Benoît Deutsch m'avait consenti un ensemble de dix-sept musiciens - ce qui était énorme à l'époque -, alors qu'au départ il m'en avait proposé cinq, en raison de l'exiguïté de la fosse d'orchestre. Il sacrifia un rang de fauteuils pour l'agrandir.

Beau geste d'un directeur entreprenant !

Les études de la pièce allèrent bon train. Nous étions tous confiants en son issue. Quinson, absent aux répétitions, assista du fond d'une loge à celle qui précède les "couturières". C'est généralement la plus mauvaise ; les artistes sont fatigués, ils ont hâte d'affronter le public, ils ne se "donnent" pas. A la fin de la soirée, Quinson, qui s'était jusque-là tenu coi, fit une sortie théâtrale, claqua la porte et décréta :

- Je ne sens pas le vent du succès.

Après un mois de représentations à bureaux fermés, il répara son erreur de jugement en téléphonant à Léon-Benoît Deutsch, son coassocié, pour lui réclamer sa part de bénéfices... La presse fut enthousiaste pour les artistes, modérée pour le livret, à tort, car, je considère encore aujourd'hui Pas sur la bouche ! comme premier modèle de la comédie musicale. Elle se montra ravie de me voir revenir à mes premières amours et notamment Emile Vuillermoz qui disait :

"... Cette comédie, qui encore une fois ne peut se résumer sans trahison, a été traitée musicalement par M. Yvain dans un style parfait. Renonçant à toute ambition déplacée, ce compositeur nous a donné des pages alertes, claires, bien rythmées, bien prosodiées, accentuées avec goût et orchestrées finement. Il est inutile de vous parler plus longuement de cette partition extrêmement réussie, car, à partir de ce soir, vous allez l'entendre dans tous les petits orchestres de la Capitale." De la part de ce prince de la critique musicale, l'éloge n'était pas sans valeur.

Extrait de Ma belle opérette de Maurice Yvain (1962)
avec l'aimable autorisation des Éditions de la Table Ronde.

 Maurice Yvain (1891-1965)

Fils d'un trompettiste de l'opéra-comique, Maurice Yvain s'impose dès l'adolescence comme pianiste, accompagnateur et improvisateur d'exception, tant dans le répertoire classique qu'au cabaret où il démarre sa carrière.

Maurice Chevalier avec qui il effectue son service militaire pendant la première guerre mondiale l'initie aux rythmes à la mode, lui présente Mistinguett et l'introduit dans les milieux du music-hall. En 1920, Maurice Yvain rencontre Albert Willemetz, le plus talentueux parolier du temps : de leur collaboration, naissent les plus grands succès de Mistinguett Mon homme et En douce, créés pour les revues à grand spectacle du Casino de Paris, puis une première opérette Ta bouche - dont le livret est également signé par Yves Mirande pour les scènes parlées - créée au Théâtre Daunou en 1922.

Jusqu'à la seconde guerre mondiale, opérettes et comédies musicales se succèdent au nombre de une ou deux par an, tandis que Maurice Yvain continue de composer de nombreuses chansons pour les revues ainsi que des musiques de films (La Belle Equipe, L'Assassin habite au 21...).

André Barde (1874-1945)

André Barde commence sa carrière de librettiste avant la première guerre mondiale et collabore avec Charles Cuvillier qui compose des opérettes dans le style des futures comédies musicales de l'entre-deux guerres : Afgar ou les loisirs andalous (1909) ; Les Muscadins (1910) ; La Reine s'amuse (1912) ; Florabella (1921) ; Nonette (1922) ; Bob et moi (1924).

Maurice Yvain, qui en parle comme "un des derniers poètes décadents de Montmartre", est séduit par le livret de Pas sur la bouche ! que Barde est venu lui proposer. L'opérette connaît un succès retentissant et se joue à guichets fermés pendant presque deux ans.

Pas sur la bouche ! marque le début d'une longue collaboration entre Maurice Yvain et André Barde, qui se poursuit avec Bouche à bouche (1925), Un bon garçon (1926), Elle est à vous (1929), Kadubec (1929), Pépé (1930), Encore 50 centimes (1931), Oh ! Papa (1933), Vacances (1934).

Devenu librettiste de tout premier plan, à l'égal de Mirande ou Willemetz, il travaille aussi avec Raoul Moretti et Henri Christiné.

Entretien avec Alain Resnais

Comment vous est venue l’idée de porter à l’écran Pas sur la bouche !, l’opérette d’André Barde et de Maurice Yvain créée en 1925 ?
En juillet 2002, mon producteur Bruno Pesery et moi, nous nous sommes aperçus qu’il fallait reporter d’au moins un an le tournage d’un film dont Michel Le Bris avait écrit le scénario. Nous étions confrontés à l’éternel problème des extérieurs réels, qui imposent de faire coïncider le plan de travail avec la durée des saisons et la disponibilité des comédiens. Au fil de la conversation, j’ai évoqué les films ou les pièces que je regrettais de n’avoir jamais vus, les opérettes des années 20 ou 30 que j’aurais voulu connaître mais dont même le texte n’avait pas été publié. Trois jours plus tard, j’avais sur mon bureau les livrets d’une dizaine de ces opérettes que Bruno Pesery avait retrouvés à la Bibliothèque de l’Arsenal. J’en ai entamé la lecture. Quand j’en suis arrivé à Pas sur la bouche !, j’ai été frappé par sa folie, son développement musical de l’absurde. C’est un texte très écrit, et son jeu avec les mots, avec les sonorités, avec les répétitions de voyelles m’intriguait. Au téléphone, Bruno Pesery, qui venait lui aussi de le lire, réagissait de même. J’ai aussitôt appelé Bruno Fontaine, le compositeur sans lequel déjà je n’aurais pas pu tourner On connaît la chanson. Pendant un après-midi, il m’a chanté et joué au piano la partition. J’ai découvert une musique alerte et jubilatoire. Yvain n’est pas un simple mélodiste, il a une vraie science d’écriture. Il sait manier le contrepoint, les ruses harmoniques. Il ne nous restait plus qu’à nous mettre au travail.

Avez-vous retouché le texte ?
Comme je le dis en riant, je suis contre les coupes, mais pour les contractions. J’ai légèrement raccourci certaines chansons. J’en ai sacrifiées quatre qui me paraissaient ralentir l’action, en tout cas pour le public de cinéma qui n’a pas droit aux deux entractes. J’ai parfois resserré le dialogue. Mais je n’ai pas changé un mot. Je ne voulais pas tricher avec le rythme et les sonorités de cette langue de théâtre. Comme le disait Cocteau à propos d’une de ses pièces : "La moindre syllabe compte. Un acteur qui changerait un terme démaillerait le tout." Il y avait une quinzaine d’expressions tombées en désuétude, mais l’écriture de Barde est tellement précise que si j’avais remplacé chiner par taquiner ou turlutaine par idée fixe, le remède aurait été pire que le mal.

Les adresses au spectateur figuraient-elles dans la pièce ?
André Barde en avait écrit beaucoup, mais j’ai triplé ou quadruplé la dose. J’ai essayé d’établir une connivence joyeuse avec le spectateur.

Tous les comédiens chantent avec leur propre voix.
Mon grand plaisir au théâtre musical, que ce soit à Broadway, Londres ou Paris, c’est d’avoir en face de moi des acteurs qui chantent, et non des chanteurs qui jouent. Ce qui m’intéressait, c’était de voir si on pouvait prendre des acteurs français et n’en doubler aucun. Lambert Wilson est chanteur professionnel, les autres non. Ils se sont prêtés au jeu avec gourmandise. Je m’étais dit d’emblée : tant pis si ça n’est pas impeccable du point de vue du chant, du moment que les voix sont vraies. Je préférais que ça fasse chien ou chat mal peigné, mais que l’acteur passe lui-même naturellement du chant à la parole et de la parole au chant.

Toutes ces transitions entre le parlé et le chanté se produisent en cours de plan.
J’ai été très attentif à ne jamais faire de raccord pour lancer le début d’une chanson ou revenir au dialogue. On enchaînait toujours, d’où le défi lancé aux comédiens sur le plateau : ils devaient jouer la scène, veiller à être synchrones avec eux-mêmes le temps de la chanson, puis, quand celle-ci se terminait, continuer sans perdre le rythme juste. C’était évidemment encore plus périlleux dès qu’on entrait dans les trios, quatuors et quintettes, ou dans le septuor à la fin du deuxième acte.

Le décor, avec ses rouges foncés, ses mauves, ses verts, est beaucoup plus sombre que ce que l’on voit habituellement sur scène dans les reprises des opérettes de cette époque.
Je ne cherchais pas le décor rigolo, pimpant, bonbon qui à mon avis tue souvent la légèreté du texte au lieu de la faire ressortir. Et ces personnages qui poussent les raisonnements jusqu’à l’absurde, comme Valandray avec toutes ses théories démentielles, me semblaient virer vers le fantastique. Nous sommes tout près de Lewis Carroll. En tournant, j’avais l’impression que c’étaient autant de fantômes qui hantent encore cet hôtel particulier de Neuilly et refont inlassablement toutes les nuits les mêmes gestes.

Extrait d’un entretien avec François Thomas
à paraître dans Positif.

Filmographie d’Alain Resnais

2003

Pas sur la bouche

1997

On connaît la chanson

1993

Smoking et No smoking

1991

Gershwin
(L'Encyclopédie audiovisuelle)

1989

I want to go home

1986

Mélo

1984

L'Amour à mort

1983

La Vie est un roman

1980

Mon oncle d’Amérique

1976

Providence

1974

Stavisky...

1968

Je t’aime, je t’aime

1967

Loin du Viet-Nam
(film collectif)

1966

La Guerre est finie

1963

Muriel ou le temps d’un retour

1961

L’Année dernière à Marienbad

1959

Hiroshima, mon amour

1958

Le Chant du styrène

1956

Toute la mémoire du monde

1955

Nuit et brouillard

1953

Les Statues meurent aussi
Co-réalisé avec Chris Marker

1950

Guernica
Co-réalisé avec Robert Hessens

1948

Van Gogh

Entretien avec Bruno Fontaine

Quand Alain Resnais est venu chez moi pour que je lui joue au piano les numéros chantés de l'opérette de Barde et Yvain, j'ai eu un coup de cœur pour cette partition. Je connaissais certaines chansons de Maurice Yvain, mais j'ignorais tout de Pas sur la bouche ! J'ai découvert la richesse incroyable de ces mélodies. La musique d'Yvain véhicule une énergie peu commune, qui à mon avis s'est répercutée sur toutes les étapes de la fabrication du film. Yvain était manifestement un compositeur très averti des avancées musicales qui se produisaient aux États-Unis, notamment dans le jazz, et il distillait dans l'opérette française en 1925 des aspects beaucoup plus rythmiques et syncopés. C'est une musique très abordable, qui touche immédiatement l'auditeur, mais qui allie la simplicité à un grand sens du contrepoint. Ce qui m'a frappé aussi, outre la qualité d'écriture des paroles d'André Barde, c'est qu'aucun des huit personnages principaux n'est sacrifié.

Le pari était de décider qu'aucun des comédiens ne serait doublé à aucun moment du film. Une fois la distribution établie, j'ai d'abord eu trois ou quatre séances de travail avec chacun des comédiens afin d'estimer leurs capacités vocales. J'étais en terrain de connaissance avec Lambert Wilson : j'ai fait deux spectacles musicaux avec lui, c'est lui qui m'a présenté à Resnais lorsque celui-ci cherchait un arrangeur pour On connaît la chanson. Daniel Prévost a fait du cabaret et même enregistré des disques dans sa jeunesse, c'est un crooner gouailleur. Les six autres n'avaient jamais chanté. Certains jouaient d'un instrument ou savaient lire la musique, les autres non. Peu importe d'où ils venaient, ce qui comptait, c'est qu'au bout de tant de semaines de cours ils arrivent tous au même point. Mon premier contact avec chacun d'eux a été très touchant : que ce soit Pierre Arditi et Sabine Azéma ou Jalil Lespert, Audrey Tautou, Isabelle Nanty et Darry Cowl, ils se sont tous forgé des carapaces, jurant leurs grands dieux qu'ils ne sauraient jamais chanter. J'ai essayé de les mettre à l'aise, comme un jeu autour d'un piano. Mon rôle était de les amener à se libérer. Et très rapidement le virus du chant s'est manifesté. J'ai assisté à de véritables éclosions, ils lâchaient leurs dernières réticences les uns après les autres. J'ai donc dit à Resnais que je pensais pouvoir lui livrer une bande musicale avec des comédiens qui chantent bien et que nous ne serions pas ridicules.

J'ai confié alors les comédiens au répétiteur Yann Molénat, qui travaille à l'Opéra Bastille. Nous ne voulions pas que les voix prennent une couleur opérette d'époque, mais qu'elles restent les plus naturelles possible. Les comédiens devaient chanter comme ils parlent, avec une voix chantée proche de leur voix parlée. Ils ne devaient pas se contenter de chanter des mélodies avec des mots dessus, mais vraiment incarner des personnages. J'ai demandé à Yann de les mettre en position d'avoir un plaisir fou à venir au studio chanter. Ils se sont mis au travail, y compris le chœur des jeunes filles. Le résultat est étonnant, et en même temps cela se comprend très bien : Resnais choisit toujours ses comédiens pour leur travail sur les sonorités, pour leur façon d'articuler les mots et de transmettre des émotions par la voix.

De mon côté, j'ai commencé à écrire les arrangements et l'orchestration. Je ne disposais que de la partie chant et piano de l'opérette. Aucune des orchestrations d'époque n'est disponible. Dans les enregistrements sur cylindre de 1925, on entend une voix énorme et un gargouillis instrumental derrière. J'ai dû me livrer à une sorte de recréation, en étant fidèle à l'esprit de cette musique, mais en la passant à travers mon propre filtre. Je me suis orienté vers un petit ensemble de quatorze musiciens, un par pupitre, où pratiquement tous les timbres de l'orchestre seraient représentés. C'est une musique très énergique, une musique de théâtre, donc il fallait que ce soit sec. J'ai tenu compte de la tessiture des comédiens pour établir les tonalités, et sinon j'ai écrit les arrangements comme pour des chanteurs professionnels. J'aurais pu choisir d'être plus sage harmoniquement pour faciliter la tâche aux comédiens, mais j'ai préféré les plonger dans une situation où ils allaient s'étonner eux-mêmes.

Nous avons enregistré les vingt chansons avant le tournage. Dans un premier temps j'ai enregistré l'orchestre, que je dirigeais moi-même, puis nous sommes passés aux voix. La production avait loué un étage d'hôtel particulier où Resnais répétait les chansons avec les comédiens pour travailler le jeu et la mise en scène. Ensuite, tous les huit ou dix jours, nous allions en studio pour deux jours d'enregistrement. Les comédiens ont été d'un enthousiasme communicatif. Il y avait une solidarité, une émulation formidables. Les six "grands débutants" étaient émouvants : quand ils enregistraient un passage rapidement et instinctivement, ils n'arrivaient pas à croire que ce qu'ils venaient de donner était réussi. Et, précisément parce qu'ils chantaient pour la première fois, ils sortaient parfois des inflexions étonnantes.

Le résultat est que la troupe s'est soudée bien avant les prises de vues. Quand elle s'est rassemblée aux studios d'Arpajon pour le tournage, elle existait en tant que troupe comme cela doit rarement se produire au cinéma. Et, après s’être familiarisés avec leurs chansons, les comédiens les avaient totalement intégrées, je dirais physiquement. Cela les a libérés pour leur jeu et ils n'ont plus eu à se préoccuper des contingences techniques du chant.

Après le tournage, je me suis attaqué à la musique originale. Resnais voulait qu'on ne perde pas la musicalité entre les chansons, que le spectateur soit en attente de la chanson suivante. L'idée, c'était d'avoir des bribes de musique qui traversent le film en permanence. Ce pouvait être aussi bien des morceaux un peu développés que de simples ponctuations. Nous avons décidé très tôt de souligner musicalement les apartés des personnages. Chez Yvain, l'extrême sophistication des mouvements d'ensemble (quatuor, quintette, septuor...) n'a rien à envier à certains grands compositeurs d'opéra. Et le dialogue est écrit pratiquement comme des paroles de chanson, avec un sens du rythme incroyable. J'ai donc proposé qu'un petit clavecin accompagne certains apartés comme dans un récitatif de Rossini, qu'il remplisse des trous, relance, rythme. Parfois j'ai exploité le matériau thématique d'Yvain dans la musique originale, en le transformant, le triturant. Cela permettait de donner des indices musicaux, avec des petites citations même très courtes, des lambeaux. Mais je ne dévoilais jamais le thème des chansons à venir, je ne reprenais une mélodie qu'une fois que les personnages l'avaient chantée. Pour d'autres passages, Resnais m'a demandé d'écrire de la "musique de film", par exemple pour dramatiser l'arrivée de Thomson (Lambert Wilson) chez les Valandray et la crise d'angoisse de Gilberte (Sabine Azéma) qui se demande comment elle va se sortir de la confrontation de ses deux maris. Je me suis autorisé quelquefois des incursions plus dissonantes, dans ce que j'appellerais le "ton Resnais". Et, comme Resnais voulait styliser au maximum les bruits, j'ai travaillé en collaboration étroite avec Gérard Hardy, le monteur son. Nous nous sommes réparti les tâches : certains bruitages sont de lui, d'autres sont des bruitages musicaux (un wood-block pour telle tape sur le dos de Faradel que l'on "déhoquète"), ou bien nous avons mêlé les deux. Chaque fois qu'on allume un projecteur sur la scène du spectacle mexicain par exemple, c'est un pizzicato de cordes prolongé par un grésillement électrique. Et quand Faradel et Gilberte glissent sur le parquet avec cet étonnant jeu de jambes, j'ai souligné leur ballet avec des frottements de baguettes sur des cymbales : là, Daniel Prévost et Sabine Azéma, c'est vraiment Fred et Adele Astaire.

Extrait d'un entretien avec François Thomas
à paraître dans Positif.

Pas sur la bouche ! : une comédie musicale "à la parisienne"

L'opérette 1900 était sentimentale, un brin patriotique et souvent désuète dans ses intrigues bourgeoises ou campagnardes. Malgré le talent de Franz Lehar ou d'André Messager, elle conserve ce parfum vieillot qui la rend difficile pour le public d'aujourd'hui. Après la première guerre mondiale, une jeune génération d'écrivains et de compositeurs décide d'en finir avec cette opérette conventionnelle pour créer un style tout différent. Leur but : retrouver la fraîcheur insolente d'Offenbach et des premiers maîtres du genre. Ce sera la comédie musicale "à la parisienne" - un théâtre décapant, extravagant, inconvenant, qui se moque de la société et des grands sentiments, sur rythmes de fox-trot et de tango.

La mode est lancée par le tandem Henri Christiné, Albert Willemetz dans Phi-Phi, création prévue le 11 novembre 1918 et "reportée pour cause de victoire". Mais c'est Maurice Yvain qui sera le grand musicien de cet esprit nouveau parce qu'il possède le métier, l'exigence musicale qui manque à ses concurrents et qui fait dire à Arthur Honegger, spectateur assidu des Bouffes Parisiens : "Un finale d'Yvain, c'est ficelé comme un finale de Haydn. Ce petit musicien est un maître".

La comédie musicale à la parisienne n'a pas grand chose de commun avec la comédie musicale américaine, découverte par les Français durant la même décennie. Il ne s'agit pas d'un "grand spectacle" mais plutôt d'une comédie légère, d'un théâtre de boulevard, plein de tromperies et de quiproquos - dont les protagonistes semblent pressés de se donner du plaisir, de se tromper et de coucher les uns avec les autres, tout en sauvant les apparences d'une bourgeoisie convenable.

L'action se déroule dans des appartements art-déco, sur des cours de tennis, dans des stations balnéaires, et autres lieux favoris d'une jeunesse un peu cynique, pressée d'oublier la boucherie de 14-18. Les textes sont souvent signés Willemetz ou Guitry et d'excellents auteurs de théâtre plus oubliés comme Yves Mirande ou André Barde.

L'intrigue est ponctuée de chansons efficaces et relativement faciles à chanter. Ce genre d'opérette n'est pas conçue pour des voix lyriques, mais plutôt pour les vedettes de music-hall : Dranem, Mistinguett, Chevalier, Raimu, Koval ou Pauline Carton, créatrice du rôle de la concierge dans Pas sur la bouche !... Maurice Yvain, toutefois, met la barre musicale plus haut, lorsqu'il compose d'époustouflants ensembles à quatre, cinq ou six voix, véritables conversations en musique. Création très parisienne, la comédie musicale qui fait fureur sur les boulevards entre 1920 et 1940, n'en présente pas moins certains points communs avec les spectacles présentés à Broadway à la même époque. Les compositeurs se fréquentent : Maurice Yvain accueille à Paris George Gershwin ou Richard Rodgers. Il rivalise avec le premier dans l'improvisation au piano. Si l'opérette classique privilégiait le trois temps des valses, la comédie musicale des années folles recourt plus volontiers au deux temps du rag-time et du fox-trot, rythmes en vogue auxquels Yvain cherche à mêler "un peu du parfum de Paris". Lui-même connaîtra les honneurs de l'Amérique, avec l'adaptation new-yorkaise d'une de ses œuvres : Un bon garçon, rebaptisée Luckee Girl. La fascination américaine se manifeste également par le grand nombre de protagonistes américains dans les livrets (le rôle de Thomson dans Pas sur la bouche !, entre autres), qui n'a d'équivalent que l'abondance de références parisiennes dans la comédie musicale américaine.

Dernier grand maître de l'opérette française, Maurice Yvain reste injustement oublié, alors même qu'on fredonne toujours ses chansons. Les rares reprises de ses pièces enthousiasment un public souvent très jeune (Là Haut, aux Célestins de Lyon en 1996-1997), et son nom reste indissociable du style qu'il a créé : cette comédie légère, frénétiquement rythmée, pleine de jeux de mots et d'immoralité, au cœur d'une époque qui fut celle du music-hall, de Dada, de Cocteau, du groupe des six et de la peinture moderne. Pas sur la bouche ! reste l'archétype de la comédie musicale à la parisienne, avec sa distribution réduite, ses petites scènes de théâtre, ses héros qui ne songent qu'à s'embrasser, ses chansons swing ("Je me suis laissé embouteiller"), ses couplets grivois ("Par le trou de la serrure") et ses finales haletants (le sextuor du "Quai Malaquais"). En redécouvrant ce moment de l'histoire du spectacle musical, on s'avise que l'opérette n'est pas là pour flatter nos habitudes, mais qu'elle peut nous surprendre, jouer avec les situations, les rythmes et le langage. Elle nous rappelle que l'esprit artistique du XXe siècle ne s'est pas fait seulement de drames sombres, mais aussi de fantaisie et de loufoquerie.

Benoît Duteurtre,
auteur de L’Opérette en France (Éditions du Seuil)

Distribution

Gilberte Valandray Sabine Azéma
Arlette Poumaillac Isabelle Nanty
Huguette Verberie Audrey Tautou
Georges Valandray Pierre Arditi
Madame Foin Darry Cowl
Charley Jalil Lespert
Faradel Daniel Prévost
Eric Thomson Lambert Wilson
Les jeunes filles Bérangère Allaux
Françoise Gillard (sociétaire de la Comédie Française)
Toinette Laquière
Gwenaëlle Simon
Juliette Nina Weissenberg

Liste technique

Pas sur la bouche !

une opérette d'André Barde et de Maurice Yvain
créée le 17 février 1925 au Théâtre des Nouveautés à Paris
©Éditions Salabert/BMG Music Publishing France

Mise en scène Alain Resnais
Orchestrations originales
et musique additionnelle
Bruno Fontaine
Image Renato Berta
Décors Jacques Saulnier
Ensemblière Solange Zeitoun
Costumes Jackie Budin
Montage Hervé de Luze
Son Jean-Marie Blondel
Gérard Hardy
Gérard Lamps
Assistant mise en scène Laurent Herbiet
Scripte Sylvette Baudrot
Directeur de production Pascal Ralite
Productrice associée Ruth Waldburger
Producteur Bruno Pesery

35 mm couleur - format 1,85 - son dolby SRD et DTS

une coproduction franco-suisse
Arena Films, France 2 Cinéma, France 3 Cinéma, Arcade, Vega Film
avec la participation de Canal +, Cinecinema, de La Télévision Suisse Romande (TSR) et du Fonds d'Action Sacem
avec la soutien de la Région Île-de-France et de L'Office Fédéral de la Culture du Département Fédéral de l'Intérieur (Berne)
ce film a été soutenu par Eurimages

musique originale du film disponible chez Naïve

Création du dossier de presse : Floc’h

SORTIE LE 3 DÉCEMBRE 2003 Durée : 1h55

www.passurlabouche-lefilm.com

Document non contractuel.

DISTRIBUTION :

Pathé Distribution
10, rue Lincoln
75008 Paris
Tél. 01 40 76 91 00
Fax 01 45 63 35 74

PRESSE :

Moteur !
Dominique Segall - Laurent Renard
14, rue de Marignan
75008 Paris
Tél. 01 42 56 95 95
Fax 01 42 56 03 05

 

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